Si nous ne faisons rien, nous n'aurons plus un poisson d'ici 30 ans! (Stephan Beaucher)

Réforme de la PCP : de l’enlisement à l’agitation tous azimuts

Après un processus interminable qui a commencé, rappelons-le, en avril 2009 (bientôt un quinquennat) on vit depuis fin avril une accélération déraisonnable qui faire craindre à certains le bâclé. Nous en étions restés aux deux votes du Parlement Européen. Celui du 18 décembre 2012 par la commission Pêche, qui ne comporte que 25 eurodéputés majoritairement pro pêche, avait cependant réservé quelques surprises intéressantes. La session du 6 février en plénière (plus de 530 députés) avait repris la balle au bond, en accentuant les avancées consenties 2 mois plus tôt. L’interdiction des rejets et l’obligation de débarquer toutes les captures, un objectif de trois ans pour enrayer l’effritement perpétuel des stocks voire l’effondrement de certains d’entre eux, tout y était ou presque. À noter toutefois et une fois de plus, la fameuse « exception française » : L’ensemble de nos députés européens socialistes ont voté contre la réforme, c’est à dire contre l’avis de leur groupe et contre la rapporteuse, Madame Ulrike Rodust, députée socialiste allemande. Dans la foulée, cette dernière se voyait donc accorder un mandat de négociation confortable puisque s’appuyant sur la majorité de 75% qui s’était dégagé du vote en plénière. On pouvait donc entamer la phase de négociations avec le Conseil, instance qui regroupe les 27 ministres en charge de la pêche. Traditionnellement la crainte de l’agitation sociale (blocage des ports, déversement de poisson devant la préfecture et autres joyeusetés) y est plus forte qu’au Parlement, au point même de paralyser souvent toute velléité de changement. Or du changement nous en avons tous besoin, y compris le secteur de la pêche qui ne fait que surnager depuis une décennie au moins, sans autre perspective que celle de rester dans le paysage l’année d’après.

En vertu du Traité de Lisbonne qui s’applique ici pour la première fois au secteur de la pêche, la phase de trilogue (négociations entre la Commission, le Conseil et le Parlement) pouvait donc commencer avec :

•             Une Maria Damanaki (Commission européenne) finalement pas mécontente du tout de ce qui était sorti des travaux du Parlement même si les quotas individuels transférables avaient été passés à la trappe.

•             Une Ulrike Rodust gonflée à bloc, forte du soutien du Parlement et confiante dans la capacité de négociation dont elle avait fait preuve auprès de tous les groupes politiques.

•             Un conseil sous présidence irlandaise incarné par M. Coveney, ministre de l’agriculture, un homme doté d’un grand sens politique qui lui a valu la confiance suffisante de la part de gouvernements aussi éloignés sur les questions de pêche que l’Espagne et la Finlande ou encore Chypre et la Hollande.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que, si le mandat de Mme Rodust lui était tombé « tout seul » dans la liesse générale, celui de M. Coveney a fait l’objet de violents affrontements (verbaux), d’âpres négociations et de marchandages aussi peu glorieux qu’inhérents à ce type d’exercice. Pour schématiser, l’enjeu du rapport de force était le suivant :

•             D’un côté les tenants du « la pêche c’est une affaire de pros » qui vilipendent le Parlement Européen, l’accusant de toutes les traîtrises et notamment d’avoir été manipulé par les ONGs environnementales.

•             De l’autre les réalistes (notamment dans la partie anglo-saxonne de l’UE) qui constatent que cette époque est révolue, que le poisson est un bien commun qui appartient à tous et qu’en conséquence la société civile et les ONGs sont légitimes à intervenir dans le débat.

On retrouvera ce clivage entre conservatisme corporatiste et ouverture d’esprit tout au long de l’élaboration du mandat de négociation de M. Coveney.

•             Sur le Rendement Maximal Durable. Pour simplifier ce « gros mot » qui en fait recouvre des réalités relativement simples, il s’agit de savoir si on va marcher en permanence sur la bordure du trottoir et trébucher à intervalles réguliers ou si on va confortablement s’installer au milieu du trottoir avec une marge de sécurité qui évitera les entorses.

•             Sur celle de l’interdiction des rejets entre ceux qui répètent en boucle « pas de pêche sans rejets, ça a toujours été comme ça » et ceux qui dénoncent cette pratique comme inacceptable et prônent la réduction drastique de ce gaspillage en faisant appel à la réglementation, certes, mais aussi et surtout à l’imagination et la créativité autant en matière technique qu’en termes de gestion de la présence en mer.

•             La question de la surcapacité s’inscrivait également dans ces deux lectures antagonistes, entre « la surcapacité, c’est de l’histoire ancienne » et « la capacité globale de l’UE reste structurellement excédentaire par rapport aux possibilités de capture, et tant que nous n’aurons pas réduit cet écart, nous serons en surpêche ».

La première phase du trilogue ne débouchait sur rien de concret ; on peut parler de round d’observation et chacun des négociateurs campait sur ses positions et surtout sur ces « lignes rouges », les limites qu’il n’entend pas dépasser. Puis, en quelques jours, fin avril, tout s’accélérait : la Lituanie, qui assurera pour six mois la présidence à partir du 1er juillet, annonçait officiellement qu’elle ne disposait pas des ressources humaines et politiques pour gérer l’aboutissement de la réforme. M. Coveney sautait sur l’occasion pour dire que les choses avaient suffisamment duré et qu’à partir du 1er juin il allait se consacrer à la réforme de la PAC et que si celle de la PCP n’était pas terminée, il renverrait le dossier en seconde lecture au Parlement. Rien que ça ! En tous cas le « coup de gueule » a porté : La perspective de voir la PCP mise en œuvre après le 1er janvier prochain, avec rappelons-le un an de retard, calmait instantanément les esprits.

Les 14 et 15 mai, le Conseil se réunissait pour redéfinir le mandat de M. Coveney pour la seconde phase de trilogue. Et là le réalisme l’a emporté : le principe d’objectifs basés sur la biomasse et non plus simplement sur la mortalité par pêche était adopté alors qu’il n’en était pas question une quinzaine de jours auparavant. Même chose pour les rejets avec une interdiction assortie de l’obligation de débarquement. Une tolérance dégressive sur 4 ans est prévue : 7% du tonnage les deux premières années, 6% les deux suivantes et 5% par la suite alors que certains Etats (France, Belgique) demandaient une tolérance de 15% (autant dire que rien ou presque ne changeait).

La seconde phase des négociations s’ouvre donc sur des « pas en avant » de la part du Conseil et une lettre du Parlement énumérant les points sur lesquels il est prêt à bouger en échange de…

La pêche n’a pas échappé à sa tradition désormais quasi-institutionnelle : il a fallu attendre 3 h 30 du matin le Jeudi 30 mai pour voir des mines défaites proclamer « Habemus reformum ! »

On a évité le pire, notamment que le conservatisme des ministres des pêches lamine complètement le projet. Nous avons un catalogue étendu d’orientations positives mais il y manque souvent les outils de mise en œuvre. L’illustration typique de cette ambivalence se trouve dans la question épineuse du Rendement Maximal Durable:

•             L’accord reconnaît que les mesures de biomasse doivent être prises en compte pour calculer les quotas mais ne précise pas quand elles devront l’être.

•             Plus significatif, l’objectif de réduction des taux de mortalité par pêche reste fixé à 2015 mais il est assorti d’une clause dérogatoire relative aux impacts sociaux et économiques et non biologiques et environnementaux. Or le temps de la biologie n’est pas celui de la décision politique.

Quelques points positifs méritent d’être soulignés :

•             L’introduction de critères environnementaux et sociaux dans l’attribution des droits de pêche devrait conforter l’avenir de la petite pêche côtière.

•             La réduction significative des rejets en mer qui met fin à un gaspillage et des pratiques qui n’étaient plus acceptables si toutefois elles l’ont déjà été.

•             Le renforcement de l’encadrement réglementaire de la grande pêche lointaine (Côtes africaines, Océan Indien).

•             La mise en place d’une instance chargée d’évaluer la progression de la mise en application des nouvelles règles.

Toutefois, l’accord reste étrangement muet sur les détails et les mesures techniques et on sait bien que le diable se cache dans les détails. Il faudra rester donc extrêmement vigilant sur ce point : Quelles seront les modalités d’applications et quand seront-elles promulguées ?

En outre, il ne faut pas perdre de vue qu’au delà du volet réglementaire qui vient d’être bouclé, le volet financier en est au stade des prémices avec un vote en plénière au Parlement Européen qui devrait intervenir en septembre prochain qui lancera un nouveau processus de négociation à trois (Commission, Conseil des ministres et Parlement). Or, suivant les orientations de fond qui seront validées, la réforme basculera soit vers l’embellie pour les écosystèmes marins et pour les pêches européennes, soit vers l’accentuation du déclin et des dégâts irréversibles sur des écosystèmes marins déjà affaiblis.

Stéphan Beaucher, conseiller politique d’OCEAN2012 30 mai 2013

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