Si nous ne faisons rien, nous n'aurons plus un poisson d'ici 30 ans! (Stephan Beaucher)

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Les jours ou les hommes ne travaillaient pas à l’écluse il venait regarder de très près l’ouvrage qu’ils avaient accomplis et à force d’observation, il se dit qu’il comprenait peut être la cause des échecs.

Il passait maintenant des marées entières à observer les pierres, leur forme, leur résistance aux chocs. Il les manipulait, les assemblait, leur parlait et au bout de quelques mois une complicité s’établit entre les roches et lui. Il devenait capable de les comprendre. Les pierres lui parlaient.

La nuit, dans les marées de pleine lune, il quittait son lit, chaussait ses sabots et partait à la côte à la rencontre des pierres. Ses pauvres parents s’inquiétaient de cette attitude mais n’osaient pas le contrarier de peur d’attirer un grand malheur. En ce temps là ne disait on pas que les innocents étaient entre les mains de Dieu ?

Les bâtisseurs d’écluses le regardaient maintenant avec un certain intérêt et une espèce de déférence.

Un jour, il vint les rejoindre pour leur parler des pierres. Ils arrêtèrent leur travail et écoutèrent Jean avec attention. Leur entretien dura très longtemps, et ce fut la mer venante qui obligea tout le monde à rejoindre la côte. Les hommes étaient sérieux, leur visage était marqué d’une grande réflexion. Jean leur avait parlé de choses à la fois surprenantes et mystérieuses.

Les femmes avaient compris, à l’attitude de leur époux, qu’il était arrivé quelque chose d’important. Elles ne surent jamais rien des révélations de Jean. Aucun des hommes ne consentit à répéter ce qu’il avait entendu. Ils dirent seulement que Jean connaissait les roches, la mer et les vents mieux que nulle créature vivante et que les pierres lui avaient révélé des secrets que personne ne pouvait imaginer. Ils l’appelèrent désormais Jean des Pierres.

clef de voute eclusesA la maline suivante, quand on décida de reprendre la construction de l’écluse, on fit appel à lui. Les hommes lui appor-taient les pierres qu’il disposait lui-même dans le mur. Il inventa le système de blocage si par-ticulier à ces constructions, cette espèce de clé de voute qui fait que tout est bloqué sans chaux ni ciment. C’est lui qui imagina tous les termes parfois mystérieux que l’on emploie encore de nos jours : pierre trouée corne, boucheau, contre talller, aile, contre aile, tarvelle, chappe, foue et bien d’autres que j’ai oublié.

Les hommes se familiarisaient avec ses expressions et commençaient à construire seuls selon les méthodes de Jean. Mais il surveillait de très près le travail. Si une belle pierre était placé à l’intérieur du mur, comme la chappe qui sert à combler le milieu, alors il la retirait vivement, déclarant que cette roche souffrait de cet emplacement qui ne la mettait pas en valeur et qui a mal pour un mur n’est pas solide et s’écroule.

Les bâtisseurs d’écluses apprirent beaucoup des techniques de Jean. Il fallut bien se rendre à l’évidence : maintenant les murs résistaient aux assauts des vagues et des tempêtes, et l’on y pêchait du poisson. C’était un nouveau revenu et c’était surtout une source de nourriture importante indispensable.

Dans tous les villages des équipes se constituèrent pour réaliser leur écluse, et à chaque fois on faisait appel à Jean. Il avait acquis une notoriété et l’on ne pratiquait plus à son encontre le tutoiement ordinairement employé entre les hommes du village.

- Dites donc Jean nous voulons commencer un mur à la prochaine maline, seriez vous disponible ?

- Oui bien sur, mais ce ne sera pas le bon moment. Dans les jours qui suivront il y aura une tempête d’Ouest et le mur sera trop jeune pour résister aux chocs. Il faudra attendre la maline suivante, les vents seront légers et la mer plus clémente.

- Comment pouvez-vous savoir que dans un mois le temps sera calme ?

- Je connais la mer et les vents aussi bien que ma propre personne, n’ayez aucune crainte.

Et le mois suivant, comme l’avait prédit Jean des Pierres, la mer était calme et l’on pouvait construire avec de grandes chances de réussite les bras des écluses à poissons.

Cela faisait maintenant plus de trente ans que Jean participait à toutes les constructions d’écluses de notre côte. Rien que sur notre commune il y en avait 40.

Jean avait vieilli. Il avait le visage couvert de rides. Son regard était parfois vague et un peu hagard. Quand il était occupé à bâtir une écluse, alors il se trouvait comme dans un état second. Il manipulait les plus grosses pierres avec facilité se jouant de leur poids. Il semblait connaitre le vrai bonheur. La dernière écluse qu’il entreprit, à la demande de six habitants du village de Chassiron l’amena cependant à une grande réflexion et à beaucoup d’hésitation.

Au centre de l’emplacement choisi par les gens du village, il y avait une source d’eau douce, la source des Fontanelles qui est située en mer à environ 50 mètres de la falaise et qui, naturellement, est recouverte à chaque marée haute.

Jean hésita. Il considérait cette source comme un symbole et souhaitait déplacer l’écluse afin de laisser la source à l’extérieur. Les paysans insistèrent pour conserver l’emplacement prévu et le travail commença.

Son intuition de simple ne l’avait pas trompé : ce mur leur causa les pires soucis. Quand les hommes reprenaient le travail à chaque marée, la construction qu’ils avaient effectuée la veille était en partie détruite.

Les marées de nuit, Jean des Pierres, seul, descendait sur le chantier et ne pouvait que constater les dégâts qui ravageaient les murs.

Un matin, alors qu’ils allaient reprendre le travail, Jean était absent de sa maison. Il ne descendit pas à la côte avec les hommes de l’écluse. En arrivant aux murs, ceux-ci ne trouvèrent que des pierres éparpillées. Pourtant il n’y avait ni vent, ni grosse mer. Inquiets, les hommes regardèrent de plus près les roches éparses sur l’estran. En les retournant ils découvrirent les sabots et un peu plus loin la ceinture de flanelle de Jean des Pierrres.

Celui qui avait si bien connu le vent, la mer et les pierres avait disparu en mer comme un marin. On ne retrouva jamais son corps.

On dit qu’il a peut être rejoint, dans le mystère des cités océanes les naufragés de nos pertuis et que son âme bienheureuse préside encore depuis des siècles à la construction des pêcheries à poissons de l’île d’Oléron.

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